Je l'ai retrouvé :
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Asia Argento, les infortunes de la vertu
Franche rencontre oscillant sur le fil de l’émotion avec l’actrice et réalisatrice italienne à qui le club Salò donne carte blanche.
Dans l’atelier hétéroclite d’un plasticien, à Saint-Ouen, entre une sculpture de chien sphinx et une montre gousset en métal, Asia Argento est une apparition parfaitement à sa place. L’actrice de 41 ans flotte d’une pièce à l’autre en robe noire légère, s’allume une cigarette, demande à ce qu’on lui décapsule une bière et se verse une petite poire. Hop, d’un trait, il est 17 heures. Elle a deux heures trente de retard sur l’horaire et disparaît entre les interviews, mais cela n’a pas d’importance. On attend, c’est une étoile filante, c’est un ballet quand nous, on sait à peine enfiler nos chaussons de danse.
Enfin, c’est notre tour. Elle dit : «Viens, on va dans la chambre ?» C’est en haut d’un petit escalier en bois, caché par un drap en guise de porte. Elle s’assoit sur une chaise et nous sur la moquette verte contre le lit déjà défait. Pieds nus, Asia Argento surplombe la scène de ses jambes croisées, puis décroisées laissant apercevoir un tatouage dans le creux de la cuisse. La brune Italienne se roule une cigarette et commence à parler en français d’une voix calme et grave, cherchant parfois ses mots, finissant rarement ses phrases, comme un jour d’été à Rome qui ne voudrait pas mourir. A Paris pour présenter sa carte blanche au club underground Salò, elle prépare trois jours «d’expériences sensorielles» avec, entre autres, Virginie Despentes et Olivier Assayas. Reine du charivari et du show, elle défend aussi son nouveau projet electro sensuel Verdade, et joue dans Shadow avec Anna-Lou, sa fille adolescente, un court métrage expérimental sur l’autisme.
La comédienne, très connue en Italie, est la fille de Dario Argento, réalisateur culte de films d’exploitation entre policier, horreur et érotisme. Elle est apparue dans plus de 50 œuvres, des grosses productions hollywoodiennes et de plus confidentielles, et elle en a réalisé aussi. Avant le trop-plein, en 2013. «J’ai tourné une série en France, Mafiosa. Je jouais une prostituée, comme d’habitude. C’était tellement nul que j’ai dit : "J’arrête."» L’envie a fini par revenir, ou le besoin d’argent était trop fort. «Les enfants, ça coûte cher, et leurs pères ne payent rien. J’ai fait des choses vraiment débiles pour vivre, comme Danse avec les stars.» Asia Argento cite Gainsbourg d’une petite voix : «L’ardeur qui se renouvelle, et l’ardeur qui se ralentit, l’ardeur qui se renouvelle. Et l’ardeur qui se ralentit.»
La Romaine se racle la gorge, on va lui chercher un verre d’eau, elle plaisante : «Peut-être que je dois fumer une cigarette pour arrêter de tousser.» Dans la contradiction assumée de la phrase est tout le personnage. Divine diva voulant toujours être libre et ivre, oscillant entre le vin, le vice et la vertu. La comédienne peut dans la même minute regretter de s’être dénudée si souvent et le revendiquer haut et fort, fustigeant les hypocrites et les moralistes : «Je suis vue comme la fille qui n’a pas de problème à être nue : alors ça veut dire des rôles de pute, de strip-teaseuse. C’est ma vie, mon destin. J’ai une sexualité très simple mais parce que j’en parle avec liberté, on me prend pour une maniaque sexuelle.»
En 2000, son premier long métrage, Scarlet Diva, road-movie à la Baise-moi, avait été mal reçu en Italie. Trop trash. «Avec mon petit garçon de 9 ans, on regarde la télé, il y a des gens tous nus sur MTV, des femmes avec des seins comme ça - elle fait le geste - et lui, il rigole, mais c’est pas le sexe que j’avais envie de raconter. Mon sexe est véritable, même pas beau, moche. Il est vu du point de vue de la femme.» Ces derniers temps, celle qui est aussi chanteuse avait écrit une série, achetée par HBO, sur des jeunes garçons et filles découvrant leur sexualité. Le projet ne s’est pas monté, elle a perdu les droits, ça l’a un peu détruite. «C’est horrible au point que je n’arrive plus à penser à une autre histoire. Ça parlait de teenagers de 13-14 ans qui prennent beaucoup de drogues, qui baisent mais on m’a dit qu’ils étaient trop jeunes.»Elle s’agace : «Les gens ne veulent pas regarder la vérité en face : les enfants sont des obsédés sexuels. Moi, je l’étais. C’est le moment le plus beau de la vie car complètement innocent mais pas dans le sens de chaste.»
Elle reprend un verre de schnaps, grimace : «C’est fort.» L’artiste le sait : peut-être qu’elle a grandi trop vite, quittant le giron familial mineure, indépendante financièrement. «J’avais l’impression d’avoir 37 ans alors que j’en avais 17. J’avais un mec beaucoup plus vieux, et je peux le dire maintenant, il m’a manipulée, et je ne m’en rendais pas compte.» Elle ajoute : «J’ai eu beaucoup de petits Napoléon dans ma vie.» La réalisatrice a deux enfants de deux compagnons différents, n’a toujours pas divorcé du second, le réalisateur Michele Civetta, mais ne vit plus avec lui. Elle a désormais une confiance tout à fait relative dans les mâles. Elle ne se voit plus habiter avec quelqu’un, à part avec la chair de sa chair dans son grand appartement de Rome, «dans le quartier des transsexuels». Les journaux people l’annoncent en couple avec Anthony Bourdain, un célèbre chef américain, elle hausse les épaules : «Ça marche entre nous parce que je ne le vois pas beaucoup. Il vient parfois me rendre visite mais je ne vais jamais à New York, je déteste cette ville.»
Reste un homme, le seul, l’unique, figure écrasante et omniprésente, son père, Dario. A Libé, en 2013, elle déclarait : «J’ai travaillé avec lui pour qu’il m’aime.» Elle fait la moue : «C’est une phrase pour journalistes. Je sais qu’il est fier de moi, et je le respecte énormément pour son courage.» Elle dit : «Je suis son produit.» Un instant, elle s’arrête, les larmes lui montent aux yeux : «Mon père est très vieux maintenant.»
Alors, on change de sujet. A cause de l’intitulé du club, Salò, où elle va se produire, elle évoque Pasolini qui tourna un film du même nom, et Mussolini qui se réfugia dans la ville de bord de lac. Elle enchaîne sur le charme de l’architecture futuriste et fasciste, sur Moravia et Morante, Dostoïevski et Nabokov, son refus de voter, sa solitude profonde et les soirs de tristesse, lorsqu’elle pleure dans les bras de sa fille, toutes deux dans le même lit. Elle disserte sur son amour des musées, et se rappelle du tournage du Syndrome de Stendhal, création du paternel où elle était une belle jeune fille poursuivie par un pervers sexuel qui s’évanouit devant des œuvres d’art, comme l’écrivain français à Florence. On lui dit que l’on regarde ce film de temps en temps simplement pour se souvenir d’une femme dont on a été amoureux. Elle sourit : «C’est pour ça qu’on fait des films.»