Justine (nouvelle)

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elfounet
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HISTOIRE DE MON GROUPE DE MUSIQUE

Bon. J’étais puceau. Et j’aimais pas ça. Pour plein de raisons j’aimais pas ça. Parce que les potes s’foutent pas mal de votre tronche si vous faites la connerie de lâcher le morceau, parce que les filles en font autant si dans tous ces males en chaleur y en a un qui s’est juré votre perte. Alors quoi, ben merde. Merde à toutes ces nanas que j’ai pas pu baiser, merde à toutes celles qui m’ont envoyé chier. Trop petit, trop jeune, trop con. Jamais une satisfaite. Toujours à chercher le prince charmant qui fera décoller les ressorts de leurs pieux. Quinze ans mec. Quinze foutues années à faire déguster le poireau et à lâcher la purée dans le vide. Colle pour posters. Rien qu’avec ça j’aurais pu devenir millionnaire. Mais j’étais qu’un pauvre naze. Bon dieu, j’avais même essayé ces parfums à la con qui soi-disant attirent les nanas. Bien sûr, ça avait pas marché, j’avais juste perdu mes cent balles et je me trouvais encore plus con. En plus, ces salopes, quand elles savent que votre êtes puceau elles font EXPRES de vous allumer, les garces. C’est comme ça que j’ai décidé de monter mon premier groupe de rock. Tous des puceaux, comme moi. Génial. Pas même un qui aurait eu une sœur à refiler. Juste des magazines de culs à se mettre sous la dent. Mon problème avec les magazines de cul c’est que je colle les pages trop vite, et puis faut à chaque fois trouver un clodo qui veut bien les acheter pour vous quand ils ressortent pas avec du pinard. Bon, alors, groupe de rock. Merde. Les filles aimaient le rock. Elles aimaient ce qui pouvaient les faire rêver. Avec moi, elles allaient être servies. J’m’étais juré de ne pas passer le cap des seize ans puceau. Alors j’ai pris la gratte et j’ai fais deux trois accords. Après ça, j’ai pensé que j’allais être puceau encore un bon moment. Adolph, c’était le voisin. Un gars un peu fou qui tagguait des graffitis sur les murs des chiottes du collège. Ces parents débarquaient de l’Allemagne et son accent ça ressemblait tout sauf a du français. On a décidé de ne pas le mettre comme chanteur.
Après y’avait Fred à la batterie, sauf qu’on avait pas de batterie. Le seul qui avait une batterie était ce pouilleux de Peter. Ses vieux étaient pétés de thunes et il avait eu sa batterie sans même la demander. Il devait donc logiquement devenir notre pote. Pour le bien du groupe. Alors l’équipée sauvage, c’était nous. Sauf qu’on était pas sauvage, qu’on connaissait que dalle à la musique et qu’on était tous des branleurs pas foutus de s’bouger le cul. La plupart du temps, on finissait dans la cave d’Adolph, qui était devenu notre QG ; la cave hein, pas Adolph. Alors il a bien fallu s’y mettre et les vieux d’Adolph faisait autant de bruit que nous quand ils s’y mettaient aussi. J’me disais qu’on s’en sortirait jamais, que j’allais crever puceau et que j’allais sans doute me racheter dans une autre vie. On a mis la musique à fond et on a bu bière sur bière. Fred est le premier à avoir vomis. Une flaque immense. Il voulait aller aux chiottes mais Adoplh flippait que ses vieux nous captent en train de picoler. Puis il a craché son paquet aussi. Et j’ai suivi dans la foulée. On est pote ou on l’est pas.
Fred, entre deux bouts de viandes, a gueulé « eh Peter, tu nous la joue à la juif ? » Fred ne savait pas que Peter était vraiment juif. Peter a haussé les épaules et a commencé à se défouler sur sa batterie. Le con jouait drôlement bien. Mieux que nous trois poivrots réunis. Quand il a été satisfait de nous en avoir mi-plein la vue, il a arrêté. Fred a alors lâché un autre paquet. Sur lui cette fois. Qu’est ce qu’on a pu rigoler quand j’y pense. Bon dieu, on devrait pas grandir. Merde. On a répété comme des fous pendant trois mois. On commençait à sortir quelque chose. Ca sentait plus le vomis. Ca sentait bon. Au bout de six mois, on était rodés. Prêt à conquérir le monde et tout. Pour fêter ça, on s’est pinté la tronche.
A l’école, on était encore des losers mais on savait bien que ça allait pas durer. Les filles nous regardaient différemment. Elles se moquaient de nous tous en même temps cette fois-ci. Tir groupé. Salopes. Et toujours rien en vu. Y en avait bien une ou deux qui auraient mordu à l’hameçon mais à chaque fois qu’elle ouvrait la bouche, sa copine « m’as-tu-vu-comme-je-suis-la-plus-belle-et-populaire-du-bahut » débarquait pour casser le truc. Re salope. Bref j’approcherais des seize ans et j’allais être encore puceau. Fait chier. Alors j'ai convoqué les potes et j’ai dit un truc dans le genre « les gars, ce soir c’est le grand soir !
- tu vas t’en faire une ? a demandé le binoclard de Peter.
- Oué, une bière. Il a rehaussé ses lunettes.
- Ah bon ?
- Ducon, j’ai dit, rien à voir. Ce soir on prend le matos et va sur le toit du lycée.
- Pour quoi faire ? a demandé Fred le malin
- Une tarte aux myrtilles, j’ai répondu
- Tu pourrais nous parler sur un autre ton, on n’est pas tes chiens ! a balancé Peter
- Oué, mais je suis bourré. D’ailleurs, vous devriez tous en faire autant ». Et ils ont pioché dans le pack de bière que j’avais piqué à mon vieux.
Ca devait être un samedi soir si je me souviens bien. On est retourné chez Adolph et on est descendu en douce dans sa cave. Comme ses vieux s’engueulaient on a pu sortir le matos sans qu’ils s’en soucient trop. Je crois qu’ils ne nous ont même pas vu. Peter faisait la moue comme un gosse de riche fait la moue quand faut s’barrer de chez soi en cachette un samedi soir. Bon il est quand même venu et il a pas laissé tomber le groupe. Un mec bien. J’suppose qu’on avait pas l’air des plus fins à trimbaler nos guitares et nos basses dans les rues mais les mecs étaient aussi beurrés que nous. Les clodos nous lançaient des « zavez pas une clope les mômes » ou « t’es mignon mon petit, tu veux pas discuter un brin avec moi ? ». Là ça nous a un peu dessaoulé mais pas trop quand même. Jimmy était le seul à rien dire. Il était muet remarquez. Ca aidait donc pas. On serait tous morts pour ce type. Un gars qui en avait bavé mille fois plus que nous, avec tous ces crétins qui lui faisaient des gestes pas très catho pour se foutre de lui. On lui écrivait ce qu’on attendait de lui et lui disait toujours ok de sa tête.
On est arrivé devant l’entrée du collège. Y’avait un foutu grillage de deux mètres de haut qui faisait chier son monde. On s’est approché et une espèce de chien est arrivé à mille à l’heure et a aboyé et ça me faisait rigoler parce que j’imaginais les morts sortir de leur tombe et gueuler « c’est pas un peu fini ce boucan, oui ? Y en a qui voudraient bien pioncer ici ! Bande de cons, va ! ». Sauf qu’y’avait pas de cimetière dans le coin mais on allait quand même faire office de bon steak. Et c’est là que j’ai eu l’étincelle. Bon dieu, des fois qu’est-ce que je peux m’aimer (et je continue ENCORE à m’aimer). Y’avait une sorte de bar a deux pâtés du lycée. Souvent on allait traîner nos guêtres là-bas parce que ça impressionnait les filles de dire qu’on picolait dans un bar durant la pause. Bien sûr on picolait pas, le proprio a jamais voulu. Parce que trop jeunes. Tu parles le con, s’en foutait pas mal de nos âges, quand t’as le fric, tu fais parti du gang. Le truc c’est qu’il voulait pas se faire chopper. Une fois c’était arrivé à un autre gars du quartier et on lui avait retiré sa licence. Alors, sirops et jus de fruits devant les clodos qui imprégnaient le bar. Alcool de mec devant les nanas. Bah personne n’est parfait. Bon alors suis allé voir Hernie et je lui ai expliqué qu’on traînait avec des filles et que ça le ferait mieux de pas avoir des sirops de tapette cette fois-ci. Il m’a regardé avec des yeux limites qui sortaient de leurs orbites :
- Parce que tu traînes encore dehors à cette heure là !
- Euh ouais, vous êtes bien ouvert que je sache
- Gamin, fais-moi pas la leçon où il t’en cuirait ! Je l’ai fermé. Bon, alors, tu veux de l’alcool ? J’ai acquiescé. Pour épater les filles tu dis ? J’ai acquiescé. J’espère qu’elles valent le coup au moins ! J’ai haussé les épaules et il a rigolé. Bingo, les vieux faut toujours les faire marrer, leur rappeler quand ils étaient pustuleux comme nous, ça leur ravive la flamme. Ca leur fait du bien. Bon, tu sais ce que je risque avec tes conneries ? T’as combien sur toi ?
- Vingt balles
- Et tu crois que tu vas impressionner tes filles avec tes vingt balles ? Tu vas pas aller loin mon garçon. Bon, ok, j’ai deux trois bières, ça te dit ?
- Ok, ça marche. Il m’a filé les bières et moi le blé. Je suis parti avec mes trois bières à la main.
- Bonne chance gamin m’a lancé le vieux. Il était cool finalement. Je poussais les battants et là j’ai compris combien j’étais con. J’me suis arrêté et j’ai réalisé qu’il manquait un truc essentiel. Putain ce qu’il faut être con ! Con, con, con ! J’étais pas venu pour ça, les potes avaient une tonne de bière. Con, con, con ! L’alcool appelle l’alcool, ça doit être un truc comme ça, obligé. Le vieux a pigé qu’y’avait une couille
- Eh gamin, tu fou quoi, t’attends le déluge ? Tu pisses dans ton froc ?
- Oue il pisse toute sa bière a dis un connard de client. Et ils ont tous rigolés de leur rire gras. Fait chier d’être aussi con aussi. J’me suis retourné et là j’ai vécu mon premier vrai moment de solitude. Un truc intense. Vous pouvez pas imaginer.
- En fait, je me suis trompé monsieur. J’y mettais les formes, lèche-cul sur les bords (con, con, con !). Je voulais un steak si vous avez. Les mecs sont tous arrêtés de boire. TOUS. Et faire arrêter de boire un alcoolo c’est comme piquer l’os d’un clébard, impossible. Ou intervention divine. En l’occurrence là c’était aucune des deux. C’était un beau déchirement qui émanait de moi. Bien sûr, ils se sont pas tus bien longtemps, pensez. La canette autour du cou ces mecs-là. Y’en a deux ou trois qui ont pissé leur bière par le nez, le reste s’est pissé dessus. Du coup, je sentais encore plus seul.
- Eh gamin, tu te crois où ici ? C’est pas un supermarché mec au cas ou tu t’en serais pas rendu compte y’a pas de caissières ici !
- Et c’est bien dommage a gueulé un type.
- Oué, amène ta femme de temps en temps Hernie a lancé un autre. Hernie a plissé les yeux. Genre j’t’aime bien mais ça risque de plus durer. L’autre a regardé s’il y avait des étoiles accrochées au plafond. J’me sentais un peu moins seul. Juste un peu. Hernie s’est tourné vers moi.
- Bon et qu’est-ce que tu veux en faire de ton steak gamin ? C’est pour emballer tes copines ? Deux trois mecs ont couinés. Et merde. J’allais devenir « le môme au steak » pendant un bon bout de temps. Re-merde !
- En fait j’ai plus faim que soif je crois. Pouahh je mentais si mal que j’pouvais pas croire que c’était moi qui débitais ses conneries-là. Et pourtant c’était moi. Con. Hernie a plissé les yeux à nouveau genre « j’vois bien que t’essaie de m’entourlouper gamin mais j’aime bien ta tronche alors je dis rien ».
- Bon ok, après tout c’est ta vie petit. Il est entré dans une pièce – sa cuisine je suppose- et tous les autres me reluquaient. Avec leur fichu sourire en coin que j’aurai voulu leur enfoncer au *** si j’étais pas si poltron. Et maigre. O solitude, o solitude. Le vieux est ressorti avec un journal recouvert de gras. Refile les bières. J’ai refilé. Et j’ai pris le steak. Suis ressorti plus vite que Superman. De la gnognotte à côté Superman. De la gnognote. Derrière un type a balancé une vacherie et ils ont tous gloussés. Merde, merde, merde. Un jour j’me vengerai, j’les tabasserai avec leurs canes. Bon en attendant j’avais mon steak même si mon orgueil en avait pris un coup ça valait dans les dix médailles. Olympiques. J’suis redescendu vers les potes. Les gars pionçaient plus ou moins adossés contre le mur en face de la grille. J’les ai réveillés et Fred m’a demandé ce que j’avais pu faire pour mettre si longtemps. J’ai raconté des bobards a tout le groupe comme quoi les mecs du bar me payaient pot sur pot et ils auraient même bien voulu que je reste et que je leur ai dit que c’était pas possible parce que je ne laisserai jamais tomber mes potes. Les mecs étaient drôlement impressionnés et j’me disais que c’est plus facile de mentir à des gens qu’on connaît bien. Fred a dit qu’on devrait tous aller au bar puisqu’ils étaient si sympas, que ça serait mieux que de se les geler pour que dalle. Ils ont tous trouvé l’idée géniale. Sauf moi. Deuxième moment de solitude. J’ai dis que non, qu’il en était pas question.
- Vous voulez tous finir puceau les mecs, j’ai crié ? Ils se sont remis au boulot. Comme ils avaient choppé la crève en m’attendant, ils ont fait circuler le même mouchoir. Peter a pas voulu. L’esprit d’équipe a ses limites. J’ai déballé le steak du journal et Fred a demandé le journal parce que avec un peu de chance il pourrait y avoir la page des sports qu’il avait pas lu ce matin. Mais elle y était pas.
- C’est quoi ce steak, Peter m’a demandé
- Tu vas voir, j’ai répondu. J’ai pris sa bière et il a gueulé. Alors j’ai pris la bière de Fred et il a gueulé. Canette d’Adolph. Il a fait la tronche. Non pas pour l’alcool mais pour faire comme les autres. Ducon, va. « Ok, ok j’ai dit, j’prends la mienne puisque c’est comme ça ». J’ai bu une dernière goulée comme un cancéreux prendrait sa dernière bouffée de cigarette. Lentement, avec jouissance. J’ai versé le reste sur le steak et l’ai balancé au-dessus de la grille. Le clébard a débarqué aussitôt. On a reculé au cas ou. Il tournait autour su steak et le reniflait. Il nous regardait et re tournait, re- sniffait. Merde, il allait m’faire regretter mes vingt balles le con. Alors il a continué son petit jeu deux ou trois minutes et il s’est enfin décidé. Il a commencé par un petit bout puis plus il en bouffait, plus il en voulait. Vertus thérapeuthiques, les mecs, vertus térapeuthiques, j’vous le dis. Du coup, je regrettais que moyennement mon alcool car un autre en avait profité. Il a pas fallu longtemps. Un chien bourré, ça se repère plus vite qu’un mec bourré. Question d’habitude. Lorsque vous verrez un dog tituber vous me ferez signe, un homme, ç’est plus fréquent. Avec les gars, on s’est quand même poilé un bon coup de voir le cleb’ si inoffensif mais bon on a quand même attendu qu’il retourne à sa niche et quand on l’a plus vu pendant cinq minutes on s’est dit que ça devait être bon. Jimmy a jeté un caillou sur la niche et le chien a pas réagit. Restait le gardien. On s’est approché de la fenêtre de son appart’ au rez-de-chaussée et on a maté. Tout le monde connaissait Buk le gardien. Tout le monde dans la ville a du le croiser un jour s’il est allé dans ce lycée môme. Il devait être là avant la construction. C’est bien simple, aujourd’hui, on ne peut concevoir le lycée sans Buk. C’est un fait. Il y a un autre fait, c’est que Buk est sans doute le plus grand buveur de la ville. Voire de tout les temps. Bien sûr la journée il fait attention à ce que ça ne se voit pas trop mais il paraît qu’un jour un type du bahut est rentré un peu par effraction dans la piaule de Buk et c’étaient pas deux ou trois mais au moins une centaine de canettes de bières qui traînaient dans l’appart’. Bien sûr quand on rencontrait Buk en dehors du lycée - c’est à dire au supermarché rayon alcool ou au bar – on sentait bien à son haleine que le pinard était encore son meilleur ami. Les hommes disaient qu’il n’a jamais eu de femme. Les femmes disaient qu’elles n’avaient jamais vu un homme aussi fidèle… à sa bouteille. Et nos vieux rajoutaient que c’était déjà pas mal. Buk roupillait. Tant mieux. Les gars avaient plus trop la pêche, fatigués qu’ils disaient. Mon cul, ils crevaient de trouille. C’est toujours comme ça avec les mecs, au début ils veulent faire les malins pour se prouver des conneries et quand arrive le truc, ils regardent tous les étoiles au cas une se décrocherait. Bon j’avais un rêve et c’est pas ces gars qui allaient faire foirer mon plan, bordel. J’allais pas rester puceau toute ma vie. C’est ce que j’ai rappelé aux mecs et ils se sont bougés un peu. Le matos faisait un boucan d’enfer a trimballer et ça pesait sur les bras. On est arrivé à l’entrée du bâtiment et c’était fermé. Les gars ont prétexté ça comme excuse.
- Dites plutôt que vous avez la trouille, j’ai dit. Bande de lâcheurs.
- On a pas les jetons, mec, simplement c’est fermé. Ou on va trouver la clef a demandé Jimmy, on va quand même pas allé la chercher chez le vieux Buk ? Y a eu un moment de silence et on s’est tous regardés. Bien sûr, il a fallu que ça tombe sur moi. Ils me reluquaient tous, TOUS.
- Et pourquoi ça serait moi qui m’y collerais ? j’ai dit. Suis déjà allez chercher le steak, merde. Voulez pas que je vous torche le cul tant qu’on y est ? Adolph a passé sa main sur son menton et j’ai dit à Adolph de même pas y penser. Il a enlevé sa main.
- C’est ton idée de venir ici a balancé Fred, alors tu te démerdes. Moi suis naze.
- Ouais t’es naze, j’ai répondu
- Répète un peu pour voir ! J’ai répété.
- Fred a raison a dit Peter, c’est pas notre idée.
- T’es naze aussi. Et toi je le pense. Fred et les copains ont ricané. Merde les gars, pouvez pas me faire ça.
- Si si on peut a dit Peter. Et il a ricané. Connard.
- Ok, ok, j’y vais à dit Adolph. Bon choix, y’avait pas meilleur que lui pour passer dans des foutus trous de souris.
- Merci vieux. J’ai regardé les autres : y’en a au moins un qui a des couilles ici. Etoiles, étoiles… Tu veux que j’vienne avec toi, mec, j’ai demandé.
- Si tu veux.
Alors les trois autres sont restés avec le matos. Pas loin de minuit. Cours du lycée. Batterie, basse, Strato, ampli et micro. La totale. Irréel. Un trou dans l’espace temps. Ou quelque chose comme ça. Bref, Adolph avait de sympa qu’il connaissait toutes les techniques pour rentrer en douce. A côté, avec mon steak, j’avais l’air d’un débutant. Puceau du rentré en douce. Puceau encore. Merde et merde. A ce moment-là Adolph est devenu une sorte de dieu pour moi. Un félin, le mec. J’avais jamais vu ça. Bon, les canettes, tout ça, c’était pas une légende. Un vrai foutoir. Impossible de faire un pas sans heurter un pack ou une canette de bière. Ce mec était un rat d’égout et c’est lui qu’on nous avait collé comme gardien à nous de pauvres lycéens. Après les dirlos, les profs, tout le bataclan, ils vont vous faire des tirades comme quoi si on fait pas gaffe on peut vite devenir un zéro et on le restera toute notre vie. Et puis à côté de ça, vous regardez le vieux Buk aussi plein qu’un tonneau se prélasser dans sa bière. Et devinez qui lâche les billets ? Ben oué, le lycée, et l’état qui engraisse derrière. Tout le monde se roule dans la même farine et tout le monde trouve ça cool. Alors on laisse faire. Et Buk se défonce, s’enfonce. Et nous avec.
On a beau avoir quinze ans, à cet âge-là y a quand même des trucs qu’on sait. Genre qu’entrer par effraction dans un lycée c’est pas vraiment ce qu’il y a de plus recommandé. Je savais bien que je faisais une connerie et que j’entraînais les potes par la même occasion. Remarquez, on se fait capter, c’est moi qui déguste en premier. Bon Buk avait tiré sa dernière bibine et ronflait à m’en faire péter les tympans, le con. Adolph a pas eu plus de mal que ça, faut dire qu’au-dessus de ce qui autrefois avait du faire office de bureau, se trouvait une boite à clés. Plein de bouts de sparadraps étaient collés dessus. Un poil dégeu. Passons. Sur chacun des sparadraps était écrit la fonction de la clé. « Porte d’entrée du lycée », voilà c’qu’il y avait de gratté sur celle qu’Adolph à piqué. Coup de pouce de la vie. Ca fait du bien. Le vieux a bien grogné deux trois fois mais c’était plus pour le suspens qu’autre chose je crois. Marrant. On est ressorti, le reste nous prenait pour des héros. On se l’ai pas pété spécialement mais on a rien fait pour dégonfler le truc non plus. O adolescence. Clic clac, on rentre. Boum et badaboum, boucan et enfer. Buk dort, le chien dort. Toute la ville dort. Ca allait pas durer. On est monté jusqu’au velux – la fenêtre pour aller sur toi – et ça faisait drôle de passer dans les couloirs et voir les salles de classe sans aucun boucan. Presque religieux. Monastère ? Et mon cul ! On a posé le matos par terre et on a regardé le velux, donc. Maintenant imaginez bien la scène : vers minuit dans un lycée, cinq potes un peu bourrés. Voulant se dépuceler. Pour ça, ils se sont dit que jouer sur le toit de leur bahut ça allait les aider. Entre eux et la poignée de la fenêtre y’a cinq mètres…
On s’est regardé dans le blanc des yeux, pas mal couillons et Peter, en train de chier dans son froc pour de bon, a dit :
- Je le savais, je vous l’avais bien dit que c’était pas une bonne idée. On va se faire chopper les mecs, on va se faire chopper ! Retournons chez nous tant qu’on peut !
Comme j’en avais un peu marre, j’ai dit :
- Peter ?
- Oui ?
- Ta gueule.
- Ok.
- Merci. Il savait qu’il était en infériorité numérique. Il a préféré la fermer. On peut le comprendre. Fred a pris la parole.
- Bon, on fait quoi ? On reste comme des cons en attendant l’ouverture de l’école ?
- On est samedi, j’ai dit. T’imagines quand même qu’on va faire un sitting sauvage pour porter l’attention sur le peuple opprimé des puceaux ?
- Non.
- Bon.
- Alors ?
- Alors quoi ? Vous me faites, rire, pas un pour prendre une initiative, des suiveurs, bordel, des suiveurs.
- Tu veux p’tet qu’on se casse et qu’on te laisse avec le matos ici, a mâchonné Adolph
- Non
- Ok, alors arrête de brasser de l’air.
J’ai arrêté de brasser de l’air. Quand un mec aussi malin qu’Adolph vous branche, le cherchez pas. Il pourrait vous en coûter. Alors j’ai regardé les étoiles, enfin la fenêtre. Je me démenais comme un malade pour trouver une solution. Tous les gars se démenaient. A la fin de notre intense réflexion – la bière ça aide pas plus que ça pour réfléchir, faut pas croire – j’ai demandé : - bon alors, quelqu’un a une idée. Jimmy a levé la main.
- Oui, Jimmy ?
Sur un bout de papier, il avait écrit « C’est ou les chiottes déjà ? »
- Deux étages en dessous et… Jimmy est parti en courant. La main sur la bouche. Jimmy a toujours été le meilleur coureur d’entre nous. C’est pour ça qu’on s’est dit que c’était possible. Puis, on a entendu un « beuuuuhhrr ». Loupé. Il est revenu dix secondes après, l’air penaud.
« J’ai pas réussi les gars », il avait écrit.
- On sait, j’ai dit.
« J’ai vomi sur… » il commençait à gratter.
- On veut pas savoir, mec. Ta vie privée doit rester privée. Tous les gars ont acquiescé. Bon, j’attends toujours l’étincelle les mecs. Rien qui vient. Cette fois-ci, ce sont les chaussures qui ont tout pris. Adieu aux étoiles. Ok, mais encore. Peter a levé la main. Je l’ai ignoré. Il insistait. Ignoré. A la fin comme il s’impatientait :
- Pourquoi tu veux pas me donner la parole ?
- Parce que je sens que tu vas dire une connerie.
- Ah
- Ouais, ah.
- Je voulais seulement dire que peut-être si on mettait la batterie en dessous de la fenêtre et qu’on montait à la courte échelle, on pourrait peut-être atteindre le toit. C’est dur, mais on pourrait essayer, on a rien a perdre. Les gars m’ont reluqué. J’me passais la main sur le menton pour me donner un genre.
- Pourquoi tu l’as pas dit plus tôt ?
- Je voulais, t’as pas voulu.
- C’est vrai ?
- T’es vraiment de mauvaise foi !
- Ouais.
- Tu sais que tu commences vraiment à m’énerver.
- J’ai peur chérie.
- T’es bourré.
- Ouais.
- Je peux te battre comme tu veux.
- EH MEC JE FAIS TRENTE CENTIMETRES ET VINGT KIKOS DE PLUS QUE TOI, j’ai gueulé. Ca impressionne toujours de gueuler. Chaussures. Bon les mecs, on le fait le plan ?
- J’trouve ça plutôt risqué a dit Fred.
- Puceau, puceau, j’ai dit. Fred a installé le matos. Bien sur ça restait pas beau a voir. Fred est monté sur Peter et j’ai grimpé sur Fred. Note : quand dans ce passage j’emploie des expressions telles que « je suis monté » ou « j’ai grimpé » n’y voyez pas autre chose que ce que vous pourriez voir. On avait pas l’air fin et ça a foiré. On s’est ramassé les uns sur les autres et Jimmy et Adolph se sont poilés. J’étais énervé.
- FAITES PAS CHIER LES GARS, j’ai crié. Ils se sont tu. MERCI.
- Tu m’as l’air bien énervé m’a balancé Fred.
- NON NON C’EST JUSTE UNE APPARENCE, FAUT PAS CROIRE. Chaussures. Faut dire que quand je suis énervé c’est pas triste mais quand je suis bourré en plus même le plus brave de tous les samouraïs ne doit pas me chercher. Les gars le savent, un Jerry énervé-bourré – Jerry c’est mon prénom au fait – ça se branche pas. Comme j’étais le chef de la bande –enfin, je m’étais auto-nommé chef – c’était à moi de trouver une solution. Et puis je les avais embarqué là-dedans, ma réputation était en jeu.
Jésus. Christ, Dieu ou tout ce que vous voudrez. Il avait pas les cheveux longs, il portait pas une croix mais une échelle. Mais pour moi c’était pareil. Je n’ai jamais aimé autant Adolph que ce soir-là.
- Les gars j’ai trouvé ça dans un coin, il a dit.
- Super, j’ai répondu. Et les gars commençaient à nouveau à regarder les étoiles. Ils y croyaient dur comme fer. Le paradis n’était plus si loin. On pouvait même voir l’entrée. Dieux existait. Et en plus il était cool. Bon, alors on a posé l’échelle et c’était quand même pas du tout cuit de faire le transfert. Ca a bien duré une heure a se péter le dos et après on était fin prêt pour du ROCK’N’ROLL. Devait être vers les deux heures du matin et tout le monde avait l’air de roupiller profond dans le coin. On avait apporté nos rallonges et y’en avait partout autour du matos. Ca donnait l’air de serpents mais ça en était pas. Tout était installé. Chanteur et son micro ok. Gratteux et basseux ok. Batteur et amplis ok aussi. Jimmy avait pris la guitare et il a levé son bras bien haut dans la nuit, comme pour toucher les étoiles, comme pour mettre du sacré sur ces cordes. Le bruit, l’électricité a parcouru nos corps comme un séisme, une déflagration de pureté sur nos peaux. J’me suis approché du micro, les lèvres prêtent à honorer les dieux, puis j’ai dit :
- Un, deux ; un deux.
Les gars ont arrêté de joué. Ils m’ont regardé et j’étais un poil mal à l’aise. Ils se sont matés chacun à leur tour. Regards. Ils ont posé leurs instruments et se sont cassés. Salauds. Quand suis arrivé à l’échelle pour descendre, ils l’ont retiré. Re-salauds. J’ai gueulé « MAIS QU’EST-CE VOUS FOUTEZ BORDEL ?? ». Fred m’a regardé, furax « TA GUEULE » et Adolph dans le fond a rajouté « MARRE DE CES CONNERIES, MARRE MARRE MARRE » et un peu plus loin dans le fond Peter : « OUAIS » . Jimmy secouait la tête aussi. J’étais cuit. Merde de merde. Puceau et coincé sur le toit du lycée. Bordel.

Bon, dans tout ça, heureusement il me restait une bière. C’était déjà ça.

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Indo-Cogo 0.8.3
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Message par Indo-Cogo 0.8.3 »

Je ne savais pas qu'un gars était prêt à tout ça pour ne plus être puceau :lol: :oops: :lol: Non sérieux j'aime beaucoup, c'est bien écrit en plus. Bravo à toi. :clin:
- L'amour, c'est un petit peu comme les poupées russes : on est toujours à la recherche de cette dernière minuscule petite poupée qui sera à jamais l'amour de notre vie. Certains trouvent cet idéal rapidement, d'autres le recherchent toute leur vie sans parfois même le trouver un jour. -

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