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Setsuko
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Enregistré le : 14 oct. 2002 21:25

Message par Setsuko »

[ viol. n.m. Rapport sexuel imposé par la contrainte, et qui constitue pénalement un crime.]

C’est drôle car les mots qui suivent ce fameux « viol » dans le dico, ne sont pas des termes très très fun… violacé, violent, violenter… Que du bon, quoi. L’éclate totale.

Viol. Quatre lettres. Je n’ai jamais pu le placer au Scrabble, sorte de blocage. Quatre misérables petites lettres accolées. Et une vie de foutue.

Dans les esprits très souvent, et dans le mien aussi, le viol est un acte –horrible– commis par une tierce personne à une autre personne - non consentante, je précise parce que parfois, ce n’est pas clair pour tout le monde… les « elle l'a peut-être cherchée hein ou mais elle a pas dit non… » continuent et continueront -jusqu’à ce que je crève- de me foutre hors de moi et de me faire gerber –.
La tierce personne en question étant un inconnu ou alors une connaissance, un soi-disant « proche ».

Jamais, ô grand jamais, le viol pouvait s’appliquer à la personne qui partageait ma vie. Jamais. Pendant seize ans, j’ai vécu avec cette idée-là. L’homme que j’aimerais ne pourrait pas me violer, non. Impossible.
Pauvre conne. Voilà ce que j’étais.

C’est une histoire comme les autres. Banale. Voire même un peu cucu. C’est juste l’histoire d’une ado qui vient de fêter ses seize ans en septembre et qui a rencontré en juillet un gars de trois ans son aîné, sur internet. Sur le forum d’un groupe qu’ils aiment. Un truc con, comme il en arrive à la pelle tous les jours. S’en suivent messages, mails, mots doux, photos, déclarations. Et le jour fatidique. La fameuse rencontre.
Moi, jeune banlieusarde du Val d’Oise, lui belge. Et moi, déjà complètement fêlée à l’époque, je pars à l’aventure sac sur le dos, billets de Thalys dans la main pour trois jours en Belgique. Prétextant qu’avec une amie, on va voir un concert. Je débarque complètement paumée dans un pays que je ne connais pas, le lendemain de Noël, pour y rencontrer un gars que je n’ai jamais vu, mais que j’aime virtuellement. Ca me suffit pour m’embarquer dans un tel bordel.
Je dois arpenter, à peu près un quart d’heure, la gare de Bruxelles-Midi afin de trouver le fameux point de rendez-vous. Parce que Monsieur n’a pas daigné venir m’accueillir sur le quai à mon arrivée. Goujat. Mais à ce moment-là, je ne relève pas, trop amoureuse, trop aveuglée. On se retrouve, il m’embrasse. Mon cœur implose.
Trois jours passés dans les bras l’un de l’autre, à s’aimer, à y croire. Putain de pétrin en vérité.

Les mois passent. Notre première fois avec. Lui est soi-disant « expérimenté ». Avec le recul, je me permets d’en douter hein.
En fait, je ne m’en rends pas compte à cet instant-là mais il m’aura fait croire que c’était moi qui désirais vraiment cette première fois, à cet instant-là. En me disant juste avant: « Mais tu es bien sûr? Tu sais, je suis patient, je peux attendre, notre relation n’a pas besoin de ça etc. » Tout un putain de beau baratin de bel enculé, oui. J’étais amoureuse, oh ça oui, prête à tout aussi, prête à « ça », pas encore tout à fait. Mais je me sentais grande, prête, éperdument amoureuse et surtout aimée, désirée et belle. J’avais seize ans, un corps trop gros, trop gras que je détestais, je me sentais mal, pas désirée. Alors quand il m’a dit qu’il m’aimait et tout le toutim, j’ai craqué. J’étais prête à tout pour qu’il m’aime encore toute une vie, ou même juste encore une nuit.
Je n’y ai pris que peu de plaisir. Comme toutes les autres fois qui suivront.

Je n’avais pas encore conscience que nos rapports n’étaient pas normaux, pas naturels. Pas sains.

Il était boudeur et capricieux. Enfant roi dans sa famille. Adulé, adoré. Par père et mère, grands-parents. Il savait me faire plier. Et eux aussi. Il considérait sa mère comme son esclave, elle se devait de toujours lui concocter de bons plats, de faire sa lessive, son ménage. Il ne foutait rien. Pas même mettre ou débarrasser la table. Quand je voulais aider, il me disait: « Laisse, ma mère s’en charge. » Et ses grands-pères, j’ai toujours pensé qu’il les conduirait à la ruine. Il leur extorquait un fric fou. A dix-neuf ans, il était incapable d’avoir un job prétextant que ses études lui prenaient trop de temps et que ça le fatiguait.
Et dire que moi, je me crevais le cul pour trouver de l’argent pour venir en Belgique. J’ai passé des semaines, que dis-je des mois, sans bouffer le midi pour économiser un peu d’argent.
Oui. J’étais devenue une loque. Soumise. Pernicieux et manipulateur, voilà ce qu’il était - et qu’il doit être encore, pourquoi aurait-il changé ?
Il avait réussi à me rendre dépendante de lui, de son regard. De ce désir que je pouvais susciter chez lui. Je m’accrochais malgré les nombreuses scènes qu’il pouvait me faire. Jalousie, culpabilité, humiliations. Je suis passée par tout ça. Tête basse, gueule fermée.

En revanche, j’ai toujours eu honte de lui. C’est con, non? Avoir autant aimé quelqu’un et avoir toujours eu honte de lui?
J’avais honte qu’il me prenne la main ou qu’il veuille m’embrasser en public. Je détestais ça. Et je refusais toujours. D’ailleurs, il est très vite devenu agressif à cause de ça. En plein métro, alors qu’il m’avait saoulée une bonne demi-heure pour un baiser –que j’ai refusé-, il m’a dit, dents serrées: « T’es dégueulasse. Tu m’aimes pas, c’est ça? Je souffre à cause de toi, ça te fait plaisir de me faire du mal comme ça? ». Putain, comme j’ai pu m’en vouloir. Connard.

Le désir, l’amour que je lui portais ont commencé à faiblir. Vers mars, plus rien n’allait déjà. Mais je continuais à tenir bon. A vouloir sauver à tout prix ce qui pouvait en valoir la peine. Acharnée que j’étais.

Mais en avril… Coup de théâtre.

Début avril, je me suis rendue en Belgique pour une super soirée chez un de nos amis en commun. J’avais mes règles. Truc normal pour une fille quoi. Il a voulu à tout prix qu’on fasse l’amour. Hors de question. No way. Même pas en rêve. Je trouve ça trop dégueulasse. Point de vue perso. J’ai mon intimité et ma dignité, merde. Il m’en a voulu à mort. Me disant que je l’avais fait exprès, que je mentais etc. Je lui ai proposé de lui montrer mon tampon.
Quelques jours plus tard, il est venu à Paris. Et là, ça vacille sérieusement. Un matin, je me suis réveillée –ou plutôt j’ai été réveillée– par un gars d’une centaine de kilos, nu, sur moi endormie, en train d’essayer de me pénétrer sans capote. Ce gars, c’était lui. Lui qui était censé m’aimer. Un être humain. Pas une espèce de sale ordure au comportement animal, malsain, vil, dégueulasse, détestable. A gerber toutes tripes dehors.
Folle de rage, de désespoir aussi, je l’ai viré à coup de pieds. Il s’est couché à sa place, à mes côtés, me tournant le dos. Tentant de me faire avaler que c’était une preuve d’amour, que c’était parce qu’il m’aimait et me désirait qu’il avait envie de me faire l’amour, que c’était une pulsion sexuelle normale.
On s’était déjà fightés quelques semaines plutôt à ce sujet.

J’avais pas envie. Lui si, il insistait comme d’habitude. Sauf que j’ai vraiment pas voulu. Alors, il a boudé. Comme toujours. Je n’ai pas cédé et je lui ai dit que j’avais l’impression de n’être que sa pute de luxe, sa poupée et que notre relation n’était basée que sur le sexe. Il m’a alors lâchée que c’était dégueulasse que je pense ça, que ce n’était pas ça du tout, qu’il m’aimait et qu’il voulait juste faire l’amour avec moi parce qu’il m’aimait et que ce n’était pas de sa faute si il avait un gros appétit sexuel.
Putain, si j’avais eu les couilles de lui demander si m’imposer à lui tailler une pipe, à le branler et à coucher avec lui sans y prendre de plaisir et à regarder le plafond pendant que Monsieur s’affaire, m’humilier avec ses sous-entendus mesquins, violents psychologiquement, c’était aussi m’aimer ?
Là encore, je suis restée.

Il aura fallu attendre deux semaines plus tard. Qu’il m’attaque sur deux sujets très sensibles pour que j’explose. Que je lui dise que je n’en pouvais plus, qu’il m’avait profondément blessée, que je ne lui pardonnerais pas, que ce n’était plus la peine de me contacter, de vouloir me revoir, que c’était fini. Pour de bon.
Il aura beau eu user de son charme, de son côté manipulateur, de son chantage affectif en me disant qu’il allait rater ses examens à cause de moi et se suicider si je le quittais, puis être devenu agressif tentant de me forcer à ne pas le quitter, m’humiliant encore, je n’ai pas cédé. Je l’ai quitté. J’ai pleuré. Beaucoup. Je m’en suis voulue, à mort. A tort.

Mais ça, je ne l’ai compris que plus tard. Deux ans plus tard.
Je n’ai réalisé que trois ans après que j’avais été violée. Par mon propre petit-ami. Car oui, c’est un viol. J’ai eu un rapport sexuel non protégé et non consenti. Certes avec mon petit-ami. Mais ce rapport-là, je n’en ai pas voulu. Je ne l’ai pas choisi. Non vraiment pas.
Si j’écris ces lignes, c’est pour dire que oui, le viol « conjugal  » et la violence psychologique existent. Que c’est tout aussi meurtrier que la violence physique. Et que malheureusement, ce n’est pas reconnu. Allez tenter d’expliquer que le viol dans un couple, ça existe. Les gens vous riront au nez ou vous toiseront du regard, genre « Elle est complètement folle ».
Le viol conjugal n’est pas pris au sérieux.
Parce que sous prétexte que j’ai eu des rapports sexuels consentis avec mon petit-ami, tout autre rapport sexuel est forcément consenti. Foutaises, foutaises, foutaises. Je leur déboîterai bien la mâchoire à tous ces connards.

Et après, c’est la déchéance. L’enfer qui commence. La vie qui tourbillonne. Enchaîne les danses macabres.

Parce que moi, je connais l'angoisse des couloirs des urgences. J'en ai passé des heures, allongée sur un brancard à attendre mon tour. Anonyme. Là, dans un coin, blottie sous ma couverture de survie.
Attendre pour des conneries. Un genou, chair à vif après m’être vautrée lamentablement…Quelques entorses, quelques fractures, quelques blessures… quelques bleus à l’âme pas encore déclarés. Bref, des maux en toc.
Sauf qu’un jour, tout bascule. Comme ça. Enfin, comme ça… Ca prend du temps. Il lui faut quelques mois à ce foutu parasite. Quelques mois avant qu'il ne fasse son p’tit effet pervers et dévastateur.
Une vraie petite bombe à retardement.

Suicide. Première cause de mortalité chez les 15-24 ans. Putain d'âge. Putain de dix-huit ans. J'aime pas mes dix-huit ans.

J’ai envie de m’exploser la tête. Hors de question que je succombe et que je prenne diverses substances. Qu’elles soient licites ou non. Trop simple. J’suis pas faible moi. Enfin c’est c’que j’pensais. Jusqu’à aujourd’hui. Parce qu’en fait, cette merde n’est pas une question de faiblesse. Juste une question de vie. De vécu. De sensibilité.
Parce que ma putain de face A se craquelle, se fendille et laisse apercevoir ma face B, si noire, si terne. Sans vie. Sans moi.

Parce qu’après cette séparation, il a bien fallu sauver les apparences. Tenter de se reconstruire coûte que coûte. Essayer d’oublier.
Et… Réussir. Nier en bloc. N’en parler à personne. Garder pour soi la honte de s’être laissée faire, d’avoir subi en silence. Sans s’être rebellée.
Revêtir son plus beau masque et faire partie du bal des faux-culs. Continuer à être une élève brillante, sans problèmes. Continuer à rire et faire rire. Avoir une vie sociale. Amicale. Écouter les autres, conseiller, résoudre les problèmes. Ne jamais vaciller. En tout cas, pas en public.
Sortir son plus beau sourire et se le coller sur la gueule, façon super-glu.

Mais y forcément des ratés. Des matins comme ça, où tout fout le camp...


Geri'Power!

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