La Guerre Est Finie

[Indo_sirkis_boy]

Ce matin là, le vent se faisait moins violent, il s’était adouci dans un épais brouillard, une fumée aux allures meurtrières, tandis qu’un pluie caressait les mélodies bruyantes et passagères du temps d’hier ; les anges sont morts. Les ruines de nos maisons, mon pays s’est abandonné. A perdu la tête, dans un face à face ridicule, c’est cela, que je me suis dit en voyant l’état de mes lieux. Des fantômes rodaient, habitaient nos campagnes et nos villes. Les âmes ont oublié leur passé au fond de leur cœur abattu. Ici, le silence s’émerveille. Un ballon qui roule dans la rue, déserte, et qui s’arrête dans le caniveau. J’imaginait cet enfant qui pourrait lui courir après, je lui aurais ramassé et rendu, bien entendu. J’attends un peu, pour me rassurer, en vain, personne à l‘horizon. Au cœur du spectacle trépassé, les portes voisines se parlaient et se répondaient à coup de grincements réguliers et pénibles, nos vieux souvenirs s’envolent ; tandis que les cigales, amoureuses de la nature, du soleil présent, ont disparu, elle aussi. Apparemment notre enfance n’a pas trop souffert, voilà une balançoire qui se tient devant moi, balançant son cœur mécanique, "j’ai survécu" aurait-elle dit si on lui avait permis. Les humains sont bien moins sages que leurs choses. Ce sont eux qui créent le mal et le propagent comme une traînée de poudre, cette poudre à canon.
Je me rappelle avoir passé dans les brumes matinales pour essayer de comprendre la vie. Je trébuchais souvent sur des corps étalés, sur un sol blessé, brisé. Je me relevais du haut de mes huit ans, j’avais du sang sur le front, mais nulle douleur ne se déclarait en moi, j’étais jeune et forte.
J’avais huit ans et je devais tout apprendre de la vie. Mon père me répétait souvent que je devais savoir me défendre au cas où… il n’a jamais pu finir cette phrase d’ailleurs. Lorsque j’étais amenée à vouloir en savoir un peu plus, il se taisait et regardait ma mère avec un air interrogatif. Il semblait, lui aussi, fragilisé par son existence.
Ma mémoire fût troublée pendant quelque temps, pour toujours même. Combien de fois suis-je tombée avant d’embrasser la présence, éteinte, de ma maman. Sa beauté était là, le sourire toujours présent, sûrement pour me dire de ne pas m‘inquiéter. Je pleurais pour qu’elle m’entende, je pleurais pour me défendre. J’avais peur, je me sentais seule et l’hiver approchait. Mon Amour s’est accroché à ses ailes ce jour là, s’est envolé dans le ciel. Je restais près d’elle un moment, la nuit suivante aussi. Je m’étais endormie contre elle, en sanglotant, la joue posée sur son cœur inanimé. La nudité presque réveillée, je me réchauffais dans ses bras. Une rose perdue dans un jardin aux couleurs d‘un éclat déchu. Les anges sont morts, ils se sont envolés. Je n’ai su quoi faire pendant des heures. Je regardais autour de moi. Le jour d’après, le paysage apparaissait devant mes yeux fatigués, de ne pas avoir rêvé comme il aurait fallu. Le paysage, détruit, se présentait derrière le levé de rideau. Ces images là se sont gravées en moi, se sont endormies comme un cauchemar éternel et profond. Des milliers de vies s’étaient assoupies devant la réalité abjecte.
Aujourd’hui, j’ai quelques années de plus, je n’ai jamais pu retrouver mon père. Je ne sais pas ce qu’il est devenu après, ou pendant cela, devrais-je dire. Les miens, les leurs, tous s’étaient évanouis sous un brouillard brutal et menaçant. Plus tard on dira qu’ils étaient voués à leur destin. Quel destin… . Aujourd’hui, j’ai quelques années de plus, mais je n’ai rien oublié, je vis un cauchemar éternel. La guerre est finie mais je ne suis pas guérie ; elle tue, même quand elle blesse. Je ne saurais jamais me défendre face à ma vie.
Mes anges sont morts.



Nono, Le 6 Mars 2009

[paradizegirl]

Très émouvant ton texte.

[*Norma*]

superbe tout simplement sacré talent ça me touche comme j'ai perdu mes parents

[Elvira]

Emouvant , troublant , touchant voici les seuls adjectifs pour qualifier ce texte , bravo !

[Indo_sirkis_boy]

Merci beaucoup à vous trois pour vos commentaires très touchants, c'est toujours important, pour moi, de savoir ce que chacun(e) peut ressentir en lisant mes écrits. Merci. Au plaisir de vous lire