Ses gémissements, ses plaintes, qui filtrent encore des murmures, des mots, pénètrent et fendent le froid brumeux de la nuit glacée, et occupent de leurs sons stridents et aigües l’immensité de la plaine de combat.
Le temps semble s’être arrêté; la nature s’est figée, comme tétanisée face aux exactions de tant d’hommes. De toute évidence, le temps ne tourne plus comme avant, mais qu’importe; réglé ou décadent, il aura raison de nous.
Il est allongé à quelques mètres. J’entends sa voix, je sens son cœur qui coule, qui s’en va. Il est à quelques pas, perdu dans cette terre ingrate, ces cratères de lune qui nous font météores, qui réduisent à néant nos frêles éclats de chair.
Il est donc là-bas, quelque part au fond des abîmes de cette guerre, à pleurer ses dernières heures, à saigner des crachats de la mitraille. Il pleure ceux qu’il ne reverra pas; il la pleure. Il m’en parlait hier, encore tôt dans le combat, et m’en disait du bien, et ne rêvait que d’elle. Il l'aimait comme on en aime qu'une.
Il espérait la revoir avant Noël.
Mais Novembre et son manteau de froid, assassin, sera passé par là…
Ses soupirs se font plus rares, plus distants, moins perceptibles. Sa voix larmoie de sang.
Le Silence, le Calme; cette absence de mouvements d’une ligne à l’autre; ce mutisme oppressant s’apparente à un deuil. Il enveloppe ses râles et les rend plus perçants dans l’effroi de la nuit; ce noir implacable, linceul accablant...
Je suis dans la tranchée, adossé à la palissade en bois, boueuse et froide. Mon corps frissonne; je respire. Puis je ferme les yeux, et revois ce lac, loin à l’arrière, près de notre garnison. Ce lac, ce paysage si simple et parfait, comme une parenthèse en pleine apocalypse. Il aimait tant y être bien.
Mais ce soir nous en sommes loin. Oubliés ces instants de paix au son de l’eau.
Ici on meurt.
Il respire encore, j’entends son souffle, mais les mots sont désormais éteints; noyés de sang. Il m’avait demandé au moment de tomber de ramener ses affaires à sa belle. Je le ferai. En attendant je pleure. Demain, ce sera moi, Ô ma douce, j’en ai peur.
Mes mains sont froides, mon cœur est chaud. C’est le cœur d’un amoureux, mais ce sont déjà les mains d’un mort.
------------------------------------------------------------------------------------
Texte bien entendu inspiré de la République des météors, ainsi que ce que j'ai pu lire jusqu'à présent dans cette rubrique expression
PS: Je ne sais pas trop si cela valait vraiment le coup de créer un sujet...
si ça vaut le coup je trouve ça très beau, ça me plait beaucoup, c'est poignant. Continue si tu as d'autres inspirations tu écris joliement 
